France: L'antisionisme est-il vraiment une forme d'antisémitisme ?

Le ministère de l'Intérieur français a publié début février des chiffres qui font état d'une hausse de 74% des actes antisémites avec 541 actes recensés en 2018.

23 février 2019 à 13h49 par La rédaction avec Anadolu Agency

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Cette montée de l'antisémitisme en France a rouvert un débat qui provoquait déjà de vives tensions à chaque fois qu'il était abordé.


L'antisionisme, qui désigne l'opposition à la politique israélienne de colonisation et d'appropriation des territoires palestiniens, est au centre de toutes les crispations. Nombreux sont ceux qui souhaitent pouvoir sanctionner pénalement l'antisionisme au même titre que l'antisémitisme, amalgamant les deux notions.


Une prise de position controversée au plus haut niveau de l’Etat


Mercredi, le président Emmanuel Macron, qui s'exprimait au dîner du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) a tenu des propos très durs à l'encontre des mouvements antisionistes. Il considère que « l'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme. »


Vigoureusement applaudi par l'Assemblée, il a poursuivi son discours en annonçant « que la France mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée par l'Alliance Internationale pour la mémoire de la Shoah » et qui inclut l'antisionisme.


La veille pourtant, alors qu'il tenait une conférence de presse depuis l'Elysée, le chef de l'Etat avait clairement pris position contre cette pénalisation de l'antisionisme. Il avait estimé que « pénaliser l'antisionisme » n'est pas « une solution », considérant que cette décision « poserait d'autres problèmes. » 


Rien n'a pour l'heure été détaillé concernant la manière dont l'Etat souhaite instaurer cette pénalisation juridique de l'antisionisme.


Les juifs antisionistes réagissent


L'Union Française Juive pour la Paix (UFJP) a réagi en diffusant dès lundi un communiqué dont Anadolu a reçu copie. 


« Nous sommes juifs et nous sommes antisionistes » indique l'organisation en titre de son écrit. Ils dénoncent la préparation d'une « loi liberticide assimilant l'antisémitisme (…) à l'antisionisme » et pointent « ceux qui défendent inconditionnellement la politique israélienne malgré l'occupation, la colonisation, le blocus à Gaza. ».


Et à l'UFJP de poursuivre « nous sommes antisionistes parce que nous refusons la séparation des juifs du reste de l'humanité », « nous sommes antisionistes parce que la Nakba, le nettoyage ethnique des palestiniens en 1948-49 est un crime qu'il faut réparer » et « nous sommes antisionistes parce que nous sommes antiracistes et parce que nous refusons l'Apartheid qui vient d'être officialisé en Israël. » 


Dans un second communiqué diffusé ce vendredi, l'organisation considère l'annonce d'Emmanuel Macron comme une « offensive contre le mouvement de solidarité avec la Palestine et (…) contre les luttes de l'immigration. » Ses signataires déplorent que le président français fasse le choix « du lobby sioniste israélien et américain contre la cause palestinienne ». 


Des intellectuels critiquent la position française


« Assimiler antisionisme et antisémitisme permettra d'entraver les critiques à l'égard du gouvernement israélien mais risque d'être contre-productif dans la lutte contre l'antisémitisme » prévient le directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Pascal Boniface. 


Dans une série de posts publiés sur son compte Twitter au lendemain de l'annonce du Président Macron, il rappelle que « la lutte contre l'antisémitisme est une priorité » mais questionne sur la volonté d'en « exclure ou combattre ceux qui y participent largement » tout en étant « critiques de la politique de Netanyahou. » 


De son côté, le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, a déploré, lui-aussi sur les réseaux sociaux, la possible pénalisation de l'antisionisme. « Il va falloir faire attention à ne pas critiquer l'alliance de Netanyahou avec l'extrême droite religieuse et raciste » pour ne pas « être attaqué pour antisionisme » a-t-il écrit sur Twitter. 


Enfin, le fondateur du journal « l'Orient XXI », Alain Gresh, explique qu'Emmanuel Macron « est à côté de la plaque » pour la simple raison que « la critique du sionisme est celle d'une idéologie et d'une pratique coloniales. » Dans une publication diffusée sur le site de son média en début de semaine, le célèbre journaliste rappelle que « la caractéristique principale de ce mouvement (sionisme) était de s'inscrire dans une logique coloniale de conquête et de peuplement. » 


Une pénalisation contraire aux libertés individuelles ?


Si depuis 2015, l'appel au boycott d'Israël est bien interdit par le droit français, il n'en demeure pas moins que la pénalisation de l'antisionisme pourrait s'avérer être une tâche bien plus compliquée. 


Interrogé sur le plateau de France 3 lundi soir, l'historien Dominique Vidal a déclaré à ce propos « je ne crois pas qu'une loi pénalisant l'antisionisme soit réalisable parce qu'en France le délit d'opinion n'existe pas. » 


Il développe ensuite, affirmant que « quand bien même cette loi serait adoptée, le Conseil Constitutionnel la stopperait car elle remettrait en cause la liberté d'expression ». Il estime par ailleurs que « l'amalgame qui est fait n'a pas de sens. » 


A ce propos, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 est très claire en la matière. Elle énonce dans son article 10 que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses ».