Le dernier voyage de Sami Boumendjel

Pour tous les Algériens,

6 septembre 2014 à 13h40 par La rédaction

FRANCE MAGHREB 2

Sami Boumendjel ( Alger 23 juin 1951 �?? Paris 2 septembre 2014) vient de nous quitter, jeune pour notre, époque, à 63 ans.

Pour les croyants (musulmans) il a été rappelé par Dieu (Allah), retourné en terre, pour rejoindre l'Eternel et les cieux. Pour les autres, il a terminé sa trajectoire terrestre richement remplie, en accord avec ses idéaux, avec sa conscience, avec lui même, .

Sami Boumendjel est né pour avoir une vie militante combattante. Une vie trépidante d'un idéaliste qui rêve d'égalité entre tous, sans distinction de race, de couleur, de convictions religieuses et politiques. Une vie dans laquelle la lutte paie, la justice triomphe, la « hogra » * recule. En un mot une vie « politique » au sens grec du terme mais ouverte à tous, citoyens et métèques, les gradés, comme les sans grades. Une vie « politique » au sens donné à ce mot par Nelson Mandela et son crédo « un homme, une voix ». C'est à dire une vie « politique » qui rend tous les citoyens décideurs et non simplement de simples électeurs de « représentants démocratiques » qui une fois arrivés au pouvoir accaparent ce pouvoir, pour plusieurs générations, et mettent en place des stratégies et des systèmes de reproduction sociale et ...politique, par la création de castes et des élites qui fonctionnent à l'image d'une roue d'hamster qui tourne sur elle même.

Sami Boumenjel est né pour cette vie « politique » par destinée, de par son ascendance, et par choix de raison, parce qu'il a appris en marchant, que la politique est un instrument exceptionnel de réalisation personnelle, de recherche de la vérité humaine et de la réalisation des idéaux qu'ils portent en se revendiquant du congrès de la Soummam et de Frantz Fanon.

Refusant l'accaparement du pouvoir politique pour des générations par les « représentants démocratiques » pourtant élus périodiquement, et de manière quinquennal, dans le pays , dans lequel il a fait le choix de vivre la plus longue partie de sa vie (1975-2014), la France, contre laquelle il a pourtant des reproches et critiques immenses, Sami Boumendjel ne pouvait qu'avoir une vie « politique » à plein temps pour dénoncer ce qu'il n'a de cesse d'appeler « le pouvoir algérien », son fonctionnement clanique et sa reproduction quasi tribale, par région, par divers filiation génétique et organique , par intérêt immédiat intérieur et international. « Pouvoir algérien », qu'il considère en dehors de la parenthèse du gouvernement Miloud Hamrouche, qu'il qualifiait de réformateur et dont il a été un compagnon de route, comme l'anti -thèse de l'idéal rêvé par son père Ali Boumendjel : une république algérienne démocratique. Il se lance, donc, à son tour, dans la réflexion et l'écriture d'un projet politique, pour l'Algérie, et publie en 2011, «  Pour l'élaboration d'un manifeste des libertés et de la démocratie en Algérie.....»

(http://lequotidienalgerie.org/2011/03/09/pour-l%25E2%2580%2599elaboration-d%25E2%2580%2599un-manifeste-des-libertes-et-de-la-democratie-en-algerie%25E2%2580%25A6/)

Sami Boumendjel restera le fils de Ali Boumendjel (Relizane 24 mai 1919- Alger 23 mars 1957). Ce dernier est un Avocat et un militant politique algérien, qualifié de

«  modéré », parce qu'il était à la fois nationaliste algérien et défenseur du modèle républicain et démocratique. Il militait à l'UDMA (Union démocratique du manifeste algérien), l'organisation politique de Ferhat Abbas, et exerçait une activité journalistique importante dans le journal « Egalité » organe des « Amis du manifeste algérien », dont le célèbre article « Le temps des cerises », inspiré par les massacres commis par l'armée française, alors coloniale, du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma (entre 20.000 et 30.000 algériens assassinés), fait école. Alors qu'il faisait le lien entre la direction de l'UDMA et celle du FLN, il a été arrêté, torturé pendant 43 jours et assassiné par l'armée française, dirigée par le général Massu, par défenestration. Son assassinat a été maquillé en suicide. La presse française de l'époque, condescendante, parle de la mort d'un « petit avocat musulman».

Malika Rahal lui a consacré un livre en 2001 : Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne (Belles Lettres,2010, Barzakh,2011).

http://www.djazairess.com/fr/elwatan/299548

http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2010/08/25/18903418.html

Le général Aussaresses, homme des basses �?uvres du général Massu, finira par reconnaître le meurtre, d'Ali Boumendjel, sur ordre, prés d'un demi siècle plus tard (en 2001), dans son livre « Services spéciaux �?? Algérie 1955 -1957 », éditions Perrin, livre qualifié par l'historien Pierre Vidal-Naquet de « mémoires d'un assassin ».

http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/pvn_aussaresses.htm

Pour ses amis et ses connaissances, Sami Boumendjel est un infatigable globe trotter politique, un fou de politique, un analyste et un prospectiviste perspicace, un homme épris de justice, qui sous des airs de se mettre en avant, parle constamment de son père, prend en charge les problèmes des autres et les faits devancer les siens. Un homme qui parle fort, qui défend ses convictions mais sans être ni vindicatif ni haineux, y compris vis à vis de ses adversaires, que d'aucuns qualifieraient d'ennemis. Une anecdote. Un jour, lors d'un échange vif au sortir d'un café, son contradicteur trébuche et chute. Et Sami de se précipiter pour le relever et s'enquérir des conséquences de sa chute, dans une phrase toute d'humour : «  tu n'es pas capable de défendre tes idées debout ». Et de passer à autre chose.

Sur le plan personnel, il vivait par procuration la vie de son père et n'avait de cesse de rechercher la vérité sur sa mort. La version du militant qui se suicide, y compris, pour échapper à la torture ne lui convenait pas tant il se faisait une haute idée du caractère de son père, de son comportement moral et de la force de ses convictions. Le désespoir, la faiblesse et la lâcheté qui amènent au suicide ne pouvait trouver un espace dans l'imaginaire de Sami Boumendjel, lorsqu'il parle de son père.

L'aveu du général Aussaresses, de l'assassinat de son père a constitué le tournant de sa vie et l'a littéralement métamorphosé. Cet aveu l'a, d'abord, soulagé. L'idée sur laquelle il a vécu que son père ne s'est pas suicidé mais a été assassiné par le colonisateur l' a dopé. Il ne s'est pas trompé. L'idée qu'il se faisait de son père était la bonne. Cet aveu l'a, ensuite, transformé. Il lui a donné un équilibre psychologique inégalé. C'est comme si une névrose permanente s'est évaporé en quelques heures. Cet aveu lui a, enfin, donné un autre objectif. Rechercher la vérité et retrouver l'identité du donneur d'ordre politique de l'assassinat. Passer de la connaissance des instruments de l'exécution de l'assassinat, le général Aussaresses et son chef militaire direct le général Massu, à celle de la connaissance des décisionnaires au sein des échelons politiques, les véritables assassins, qui commettent des « crimes de Bureau », des crimes de lâches, qui pensent pouvoir exonérer leur consciences en ordonnant les meurtres sans avoir à les exécuter, matériellement, physiquement.

Sami Boumendjel fonctionnait dans cette recherche de vérité comme un journaliste d'investigation, comme un enquêteur de police. Chercher les éléments un par un. Reconstituer les briques à partir de ces éléments. Reconstituer le puzzle à partir de ces briques.

Sur le plan collectif, Sami Boumendjel participait à toutes les causes qui lui semblent receler de l'injustice, ici comme ailleurs, et ne cessait de les dénoncer.

Sur le plan intérieur, il a longuement participé aux activités des associations CEDETIM

( http://www.reseau-ipam.org/spip.php?rubrique154 ) et SORTIR DU COLONIALISME, (http://www.anticolonial.net/spip.php?article2207) , organisations de tradition internationaliste, dont les objectifs correspondent à ses propres idéaux: « une plus grande liberté pour tous, une meilleure justice sociale pour tous, un monde, fondée sur le respect des droits fondamentaux individuels et collectifs, construit par tous les peuples», pour la première, « soutien des luttes des peuples , des minorités nationales, en lutte pour leur indépendance, leur autodétermination, et le respect de leurs droits bafoués par le colonialisme, affirmation d'une communauté de valeurs de justice sociale, d'égalité entre les peuples, de respect de leur souveraineté et de solidarité internationale », pour la seconde.

Sur le plan international, les drames de l'Afrique, l'intolérance religieuse et les crimes commis au nom de l'Islam, l'injustice faite aux palestiniens dés avant sa naissance, et qui se continue après sa mort, l'ont toujours révolté.

Pour France Maghreb 2, Sami Boumendjel faisait partie du noyau central, co-portait ses ambitions et ses rêves et participait activement à son développement.

Pour les auditeurs de France Maghreb 2, Sami Boumendjel était le polémiste du Lundi, qui bousculait leur conformisme sur l'Algérie, sur le Maghreb, sur la France, sur le Monde, qui les incitait à plus de solidarité, à plus de tolérance et d'acceptation de l'autre, à plus d'humanité.

En tout cela, Sami Boumendjel partageait les mêmes idéaux que l'inspirateur de France Maghreb 2, Brahim HADJ SMAIL, qui l'avait précédé, le 8 novembre 2011, pour son dernier voyage.

Tarek MAMI

Président de France Maghreb 2

* Hogra : signifie dans le langage populaire algérien mépris, dédain, humiliation, injustice, iniquité, abus de pouvoir exercé par le pouvoir à l'égard de la population.