Le projet de loi « anticasseurs » suscite l’indignation 

28 janvier 2019 à 21h51 par Anadolu Agency

FRANCE MAGHREB 2
Crédit : Édouard Philippe et Christophe Castaner/Google images

Le projet de loi dit « anticasseurs » continue d’alimenter le débat en France et de susciter moult réactions, notamment des défenseurs des droits de l’homme et des organisations non gouvernementales.

C’est un texte proposé par le chef du gouvernement Edouard Philippe pour se doter d'une marge de manœuvre plus large face à la persistance du mouvement des « gilets jaunes » et dont les manifestations ont viré à la violence à plusieurs reprises et à la destruction de biens public et privés, voire même de monuments historiques.

Parmi les mesures prévues par ce nouveau texte, figurent le fichage des présumés casseurs, des interdictions de manifester, ou encore des poursuites pénales avec des sanctions plus lourdes, en cas de participation à une manifestation non-déclarée.

Le projet de loi a été discuté en commission à l’Assemblée nationale, le mercredi 23 janvier, et sera débattu en plénière le 29 du même mois.
Le gouvernement espère faire adopter son texte de loi en urgence bien que son contenu provoque des remous, non seulement dans les rangs des militants mais également au sein même des députés de la majorité.

Ainsi, une trentaine de députés issus des rangs de la majorité La République En Marche (LREM) ont signé une demande d’amendement qui prévoit de supprimer l’article 2 de ce projet de loi.

Cet article porte sur les potentielles interdictions de manifester. Les députés y voient « un risque sur le plan constitutionnel », d’après le journal «Libération».

Toutefois, les réactions les plus virulentes viennent de syndicats et d’organisations de défense des droits fondamentaux.

A ce titre, le syndicat de la magistrature dénonce une mesure destinée à « museler tout le monde ».

Ce syndicat classé politiquement à gauche a fustigé, dans un post sur le réseau social Twitter, que « la liberté des uns » soit « sacrifiée au nom de la violence des autres ».

« La liberté de manifester n'est pas préservée. Elle est attaquée, en utilisant la casse de quelques-uns comme prétexte pour museler tout le monde », explique le syndicat.

Dans cet ordre d’idées, Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM) a dénoncé sur les colonnes du journal Le Monde, des mesures « attentatoires à la liberté de manifester » aux contours « flous » et « inutiles ».

D’autres organisations ont réagi de façon collective.

Dans un communiqué publié mercredi soir et dont Anadolu a reçu copie, plusieurs organisations et syndicats dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (SAF) ou encore la Confédération générale du travail (CGT) « dénoncent ces restrictions au droit de manifester et ces lourdes menaces sur les libertés d’opinion et d’expression des oppositions et demandent le retrait de la proposition de loi»

Les signataires du texte estiment que le « fichage des manifestants, l’interdiction individuelle de manifester, l’obligation de pointage sont autant de signes de la poursuite d’une logique de suspicion généralisée et de contrôle social avec le risque de dévoiement des procédures et d’arbitraire».

Nicolas Hervieu, enseignant à Sciences Po et spécialiste en droit public tire lui aussi la sonnette d’alarme. Il considère que « ce fichage, à connotation politique, pourrait créer une base de données recensant une catégorie de la population en raison de leur opposition au pouvoir ».

En réalité, la contestation de l'attitude répressive du gouvernement n'a pas commencé avec ce projet de loi controversé. Elle a commencé bien avant.
L’ONG Amnesty International avait publié le 14 décembre dernier un rapport dans lequel elle dénonce le fait que « si les autorités ont (...) condamné à maintes reprises les actes de violence commis par des manifestants, elles n'ont pas exprimé d'inquiétudes concernant le recours excessif à la force par des policiers, qui doit faire l'objet d'une enquête indépendante, impartiale et efficace ».
Et l’organisation d’ajouter «le port d'équipements de protection contre les gaz lacrymogènes, les flashball ou les grenades de désencerclement ne saurait être assimilé à une intention de commettre des violences, et les personnes arrêtées uniquement pour ce motif doivent être libérées».

Pour rappel, la nouvelle loi dite « anticasseurs » a été annoncée par le Premier ministre Édouard Philippe le 7 janvier sur la télévision française.

Elle intervient en complémentarité à une batterie mesures politiques, sécuritaires et judiciaires déjà engagées par l’exécutif pour faire face au mouvement inédit des « gilets jaunes ».

Ce nouvel instrument juridique veut principalement remédier aux scènes de violence et d’insurrection qui ont largement émaillé les manifestations des « gilets jaunes » depuis le début du mouvement.

Selon les chiffres du journal Libération qui fait un décompte régulièrement actualisé, depuis le début des protestations le 17 novembre dernier, il y aurait plus de 1700 blessés, dont 109 l’ont été grièvement.

Parmi eux, 17 victimes ont été éborgnées par des tirs des forces de l’ordre. Douze personnes sont également décédées en marge du mouvement, dont une octogénaire à Marseille, morte à l’hôpital après avoir été touchée par une grenade lacrymogène lancée par un CRS.

Le Gouvernement qui a, dans un premier temps, ignoré les revendications des manifestants en affirmant par le biais du Premier ministre vouloir « maintenir le cap », a fini par tenter d’apporter une réponse d’abord politique au mouvement.

Ainsi, le 10 décembre dernier, le Président Macron a décrété « l’Etat d’urgence économique et social », dans une déclaration télévisée de 13 minutes.

Parmi les mesures prises, il a annoncé que « le salaire d’un travailleur au smic (salaire minimum interconventionnel) augmentera de 100€ par mois ». Il a également restauré la défiscalisation des heures supplémentaires et des primes de fin d’année versées par les employeurs.

Au-delà de cette réponse faite dans l’urgence, le chef de l’Etat a lancé le 15 janvier un grand débat national qui doit durer deux mois pour recueillir les doléances des Français et essayer de répondre à leurs attentes.

Mais malgré la volonté de dialogue affichée par l’exécutif, le ministère de l’Intérieur a, pour sa part, pris de nombreuses dispositions d’ordre purement sécuritaire.

Ainsi, chaque samedi, rendez-vous hebdomadaire des manifestations d’ampleur nationale, 80000 policiers et gendarmes sont mobilisés dans tout le pays, dont 5000 dans la capitale parisienne.

Des interpellations sont systématiquement menées en amont des rassemblements, y compris dans les transports en commun menant aux point de rassemblement.

Ainsi, au 10 janvier, le bilan établi par la presse française faisait état de 6475 interpellations, 5339 gardes à vue. Selon la radio RTL, il y a eu 213 incarcérations durant le premier mois des protestations.

C’est un bilan inédit pour un mouvement social, auquel le gouvernement tente désormais d’apporter une réponse législative qui, selon les spécialistes, pourrait mener à des dérives sécuritaires et liberticides.