Tour de confinement au Maroc : « Tout est à l’arrêt, nous vivons au jour le jour ».

L'état d'urgence a été décrété au Maroc le 20 mars, la date initiale du déconfinement prévue au 20 avril n'est aujourd'hui plus envisagée et est reportée au 20 mai, les cas confirmés au Covid-19 et le taux de létalité ne cessent d'augmenter.<br /> On compte à ce jour 2670 cas confirmés et 137 décès.

Publié : 19 avril 2020 à 12h08 par Samia Chiki

FRANCE MAGHREB 2
Tout est mis en place pour faire respecter le confinement entre pédagogie appropriée et force de l'o
Crédit : DR

Entre annonces gouvernementales et médiatisation d’une gestion exemplaire, nous avons recueilli les témoignages de plusieurs marocains à travers le Royaume.

« Les gens essaient de faire avec ce qu’ils ont »

Hafid travaille au port de Casablanca dans le déchargement de marchandises, il est propriétaire de sa maison et a trois enfants. Il continue d’y aller durant le confinement car des bateaux arrivent tous les jours au port. Pour sortir, il a une attestation comme tous les marocains, elle est certifiée par le « mkadem » et une attestation de son employeur, financièrement  rien a vraiment changé pour lui.

De nombreux salariés ont été contraints d'arrêter le travail et cotisaient à la CNSS et ont perçu 2000dhs, certains n'ont toujours rien.

Ceux qui en revanche sont sous le régime  de la RAMED (Régime d’Assistance Médicale fondé en 2002 sur les principes de l’assistance sociale et de la solidarité nationale) pourront bénéficier entre  800 et  1200dhirams (et ce, en fonction de la composition familiale).

Les épiceries, boucheries et vendeurs de fruits-légumes sont  quant à eux ouverts jusqu'à 18h, au-delà  il est interdit de sortir et les seuls achats autorisés sont ceux de première nécessité. En cas de contrôle au-delà de l’heure limite, la police les emmène  directement au poste et les  place en garde à vue (en attente d’un jugement qui statue généralement sur des amendes à régler).

Le rythme de vie de Hafid  ainsi que celui de tous les marocains a changé : « le trajet unique « maison-travail » et les enfants à occuper durant les longues  journées.Sans oublier que tout le monde se met aux recettes de grand-mère pour désinfecter les maison, les tisanes et les huiles sont utilisées quotidiennement. Pour les enfants, les profs les plus sérieux leur envoient quotidiennement les cours par whatsapp et ensuite l'après-midi les corrections des exercices.

 

Abderahim, gérant d’un salon de coiffure réside à Jemaa shin une commune rurale à trente kilomètres de Safi, père de cinq enfants il est locataire de son appartement. Depuis la fermeture des commerces il n'a plus de ressources et vient juste de percevoir 1200dhs car il a leRAMED mais il doit régler un loyer de 800 dhirams en plus de l'électricité et l'eau, ce mois-ci il ne pourra pas s’en acquitter. La situation est très difficile pour lui et ses proches. Sa mère et ses frères qui vivent à la campagne n'ont toujours rien reçu comme aide. Le bétail n'a plus de quoi manger, de nombreux éleveurs essaient de vendre quelques bêtes à perte pour ne pas tout perdre. Dans sa commune,  les gens sortent « il y a beaucoup de queue devant les épiceries et les étalages de fruit-légumes et c'est souvent l'anarchie. Les gens essaient de faire avec ce qu'ils ont. Les aides de l’Etat qui ont été mises en place sont d’après lui «  une très bonne chose mais très insuffisantes, leur versement tarde et certains souffrent ».

Hafid est également inquiet : « On ressent que beaucoup de choses ne sont pas dites et que des calculs économiques sont faits, par exemple plusieurs sociétés de textile se sont mise à fabriquer des masques et maintenant le gouvernement impose l'achat de ces masques et leur port. »

Certains restent prudents et se contentent de témoigner de ce qu’ils jugent positif, comme cette jeune maman de Casablanca : « La situation au Maroc en ce moment est sous contrôle et nous avons confiance au gouvernement. La situation est de bon augure, même si nous avons perdu une part de liberté et que  les enfants ne vont plus à l'école Mais nous avons beaucoup profité de nous on a fait beaucoup de choses, exemples sport, cuisines... »

Comme en France, une véritable chaîne de solidarité s’est mise en place entre les habitants :

« Nous vivons une situation qui nous était inconnue, le monde économique et social  est à l'arrêt, ce qui nous impose de mettre main dans la main et de nous plier à cette situation jusqu’à ce que cette épreuve soit levée. Les familles marocaines ont été surprises par tout cela, surtout d'un point de vue financier notamment pour  les familles moyennes, ceux qui ont des crédits bancaires et des mensualités d'écoles et les dépenses pour vivre, cela nous pousse à faire énormément  d’économies, nous rapporte Abderrahim.

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De nombreuses associations humanitaires s’organisent chaque jour pour distribuer des lots alimentaires et des kits d’hygiène, comme l’association Meb’solidarité qui a distribué des colis à plus de 143 foyers dans la région d’Al hoceima ou encore l’AMDH (Association Marocaine des Droits Humains) qui s’occupe des migrants et demandeurs d’asile au Maroc et qui a appelé à « l’ouverture de centres d’hébergement en urgence et à faciliter l’acheminement des aides humanitaires dans leurs zones de rassemblement ».

Entre confiance et craintes

L’effort national a commencé dès le lundi 16 mars avec  un décret annonçant la création d’un Fonds pour la gestion de la pandémie du Covid-19, ce sont des centaines d’entreprises et de représentants politiques qui ont apporté leur contribution financière comme  le groupe Afriquia qui a contribué à hauteur de 1 milliard de dirhams ou encore les cadres du Ministère de l’Emploi faisant don d’un mois de salaire.

Concernant les différentes mesures prises par l’Etat, notamment sanitaires, la population semble partagée, certains louant le dispositif de sécurité et de contrôle  et d’autres regrettant que les aides de l’Etat tardent à arriver, Majda, elle semble reconnaissante : « l’Etat a fermé les frontières  et nous a imposé très tôt le confinement et met à disposition les masques, la police est présente en continu dans la majorité des avenues. »

Le Maroc a rendu le port des masques obligatoire depuis le 7 avril, le gouvernement  a fixé un tarif de 8 centimes d’euros, plusieurs millions de masques ont été distribués dans des points de vente tels que les pharmacies et épiceries.

L’AMITH (Association marocaine des Industries de Textile et de l’Habillement) ont répondu également à l’appel national et en partenariat avec le Ministère de l’Industrie du Commerce se sont mobilisés afin d’assurer une forte production de masques de protection en tissu(certification IMANOR).

Le 13 avril , le ministre de l’industrie, Moulay Hafid Elalamy , annonçait une production de plus de 3,2 millions de masques par jour et rassurait la population en indiquant que l’export ne serait envisageable  que lorsque «  les besoins nationaux seront couverts ».

Pourtant, le manque se fait déjà ressentir, de nombreux témoignages indiquent les difficultés à s’en procurer, certains affirment  même passer des heures à sillonner les points de vente de leur ville et faute d’en trouver, finissent par les confectionner à la maison.

Un confinement supporté

Privés de liberté de circulation et soumis parfois à l’exiguïté des maisons,  la population semble toutefois  s’en accommoder, en fonction de la situation des familles, ces dernières s’adaptent : « Notre liberté s'est forcément réduite car notre espace l’a été, nous restons enfermés, dans la médina de Casablanca les gens rencontrent de  nombreux problèmes sociaux: des logements trop petits qui ne permettent pas de rester confinés  à plusieurs en général. La majorité des locations n'ont pas de fenêtres sur la rue permettant de respirer un peu d'air frais. Ils ont mis en place des barrières entre les quartiers car beaucoup ne respectent pas le confinement. La vie est devenue encore plus difficile.

Témoignage d’un habitant d’Imzouren, une commune située à 18km d’AL Hoceima

« La police fait son travail et il y a beaucoup de nettoyage dans les rues avec des produits et ça c’est bien. Mais ce n’est pas assez, à la télévision ils disent qu’il y a de l’aide mais on en a pas vu, il n’y a pas encore de masques alors que c’est obligatoire (on a cousu nous-mêmes des masques en tissu pour sortir).

Si le confinement dure, il y aura beaucoup de gens en difficultés y compris ma famille car il n’y a plus d’entrées d’argent et on ne peut pas  tout acheter et avec le ramadan on a besoin de farine, d’huile…   

Témoignage de Abdallah, agriculteur

« Au départ, loin de la ville et de l’information, nous nous préoccupions très peu de cette épidémie, on en a entendu parler que début mars et puis du jour au lendemain, des « Pick up » ont sillonné les villages pour nous demander de rester chez nous.

Les premiers jours nous sommes sortis comme  à notre habitude, mais il faut dire qu’au village il y a très peu de contacts, aucun groupe à part au café. On continue à aller travailler dans les champs mais sans serrer la main aux autres personnes qu’on croise.

Nous avons très peu de ressources, on vit de l’agriculture mais tout est bloqué, nous ne pouvons  pas vendre nos produits au souk hebdomadaire car il est fermé.

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Pour le quotidien, il n’y a pas de problème pour l‘instant mais nous n’avons aucune entrée d’argent nous permettant d’acheter des produits ou même l’alimentation pour les bovins.

Nous utilisons le peu d’économies que nous avons mis de côté mais si cela devait durer, malheureusement nous pourrions plus le faire.

Nous n’avons pas de télévision, ni même de radio, les  autres villageois nous informent que le virus est présent au Maroc et qu’il y a des cas tous les jours, dans notre village aucun cas n’a été pour le moment diagnostiqué. Tout est à l’arrêt, nous vivons au jour le jour et nous avons peur que cela arrive chez nous ».