TUNISIE : une démocratie en marche, avec Ghannouchi qui remporte une victoire à la Pyrrhus
On parle souvent de paradoxe tunisien, (avec ou sans S). La vie parlementaire tunisienne de ces deux derniers jours, avec deux séances plénières qui marqueront l'actuelle législature (2019-2024), viennent illustrer ces paradoxes. A chaque fois la situation franchit une nouvelle étape de la démocratie tunisienne balbutiante, qui vient à peine de clôturer sa première décennie. Et divise la société entre ceux qui voient le verre à demi vide et ceux qui voient le verre à demi plein.
4 août 2020 à 16h00 par Tarek MAMI Journaliste – Directeur de radio France Maghreb 2
Un pays de paradoxes
La première de ces deux séances plénières, celle du 29 juillet (2020) de l’ARP (Assemblée des Représentants du peuple), le nom de l’assemblée nationale tunisienne, adopte une loi pour le recrutement exceptionnel dans la fonction publique de 60.000 chômeurs de longue date (159 Pour, 18 Abstentions, 0 contre). Peu importe que la loi interdise le recrutement massif dans la fonction publique, depuis 2015. Peu importe que le nombre de fonctionnaire passe de 404 000, avant la chute du régime du Président déchu, Ben Ali, à 550 000 fonctionnaires, en 2012, pour grimper à 610 000 fonctionnaires, en 2016, 640 000 en 2018, pour culminer à 785 000 en 2019, auxquels il faut ajouter 60 000 à partir de 2021, soit plus de 808 000 fonctionnaires, et un doublement du nombre de fonctionnaires en une décennie, et 7% de la population, à un moment ou tout le monde clame que les caisses, et que la pays vit à crédit à coup de prêts internationaux.
Une démocratie en marche
La seconde de ces deux séances plénières, celle du 30 juillet (2020) de l’ARP, est plus croustillante politiquement. Cette seconde séance plénière, résumée par mon tweet, est la plus importante en termes d’analyses politique, pour aujourd’hui, et pour demain dans les études annales parlementaires tunisiennes. Elle marque, inéluctablement, une nouvelle étape dans la marche de la toute jeune démocratie tunisienne. Au menu ni plus ni moins une résolution qui vise à retirer la confiance au président de l’ARP, Rached Ghannouchi, et néanmoins omnipotent président du parti à coloration religieuse Ennahda, depuis sa création, et en tout état de cause depuis 2011, et la chute du régime du président déchu, et défunt Ben ALI. Ceci version opposition à la présidence Ghannouchi. La version de ce dernier est bien sur différente. Il s’agit d’une séance plénière pour « le renouvellement de la confiance ». Les résultats sortis des urnes de cette séance plénière du 30 juillet peuvent donner lieu à plusieurs lectures politiques, selon que l’analyste soutient l’idée de la destitution du président de l’ARP, ou s’y oppose. Au-delà de la personne du président, de l’ARP, mis en contestation, c’est la démarche même de la contestation politique de l’exercice de la fonction du président de l’assemblée nationale, que l’histoire retiendra, plus certainement, le nom du président en cause, constituant à terme une simple indication comme une jurisprudence politique.
Une diversité de lectures politiques
Ces lectures politiques peuvent être multipliées à l’infini. Et la presse tunisienne et les réseaux ne s’en privent pas. Trois lectures peuvent, cependant, être retenues comme les plus saillantes.
Une première dans le monde dit de culture arabo musulmane
La première lecture est, somme toute, la plus importante dans l’histoire de la jeune démocratie tunisienne, qui vient, à peine de clôturer sa première décennie, et de sa nouvelle histoire parlementaire. Le dépôt d’une motion de retrait de confiance au président de l’assemblée nationale, est, en effet, une première dans le monde dit, par facilité de langage, de culture arabo musulmane. Une contestation politique par des moyens juridiques des fonctions du troisième personnage de l’État : Le Président de l’Assemblée nationale. La constitution Tunisienne de 2014, ayant créé 3 Présidents. Le Président de la République. Le Président du Gouvernement. Le Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). La Démocratie naissante vaut bien ça, pour se roder, et apprendre la séparation des pouvoirs.
113 Députés avec des convictions croisées
La seconde lecture doit relever et retenir le courage des députés qui ont fait honneur à la nouvelle démocratie tunisienne, à leurs fonctions de députés de la République, et à leurs électeurs. Il s’agit, tout à la fois, des 97 députés qui ont votés pour la motion de destitution du président de l’ARP, et des 16 qui ont votés contre cette destitution. Ensemble, ils sont 113 députés. Ils ont agi en conscience et défendus leurs convictions, toutes aussi respectables les unes que les autres Tous ceux-là méritent le titre des représentants du peuple tunisien.
Une centaine de députés abstentionnistes physiques et les abstentionnistes politiques, sans convictions.
La troisième lecture concerne les abstentionnistes physiques et les abstentionnistes politiques. Les premiers, les abstentionnistes physiques. Ils sont au nombre de 84. Leurs noms sont déjà rendus publics. Ils circulent sur les réseaux sociaux et dans la presse. Les absents (volontaires) ayant toujours tort, ils ne pourront tirer aucune gloire de cette absence. Ils figureront dans l’Histoire parlementaire tunisienne comme des pleutres, qui ont refusés de défendre leurs convictions, probablement par ce qu’ils n’en ont pas. Ils font partie de ceux qui suivent le mouvement du vent, et l’air du temps. Ce n’est pas sur eux que la Tunisie pourra compter pour aller de l’avant. Avec le murissement de la démocratie tunisienne, leurs électeurs finiront par les identifier et de leur faire rendre gorges, lors des prochaines élections. Si leur discours est anti Ennahda, le parti majoritaire à l’assemblée nationale tunisienne (avec 54 députés sur 217), dirigé, par le président de l’ARP, contesté, leurs électeurs leurs reprocheront le fait de ne pas avoir traduit leurs discours en acte en déposant un bulletin dans l’urne en soutien à la destitution. Si leur discours est pro Ennahda, leurs électeurs leurs reprocheront, également, le fait de ne pas avoir traduit leurs discours en acte, en déposant un bulletin dans l’urne en soutien contre la destitution. Et le fait que ces derniers objecteraient que ce sont les consignes du parti, qui leur aurait intimés l’ordre de ne pas se rendre au Bardo, ne leur sera pas d’un grand secours. On leur reprochera leur comportement de béni oui-oui et d’âne de Buridan. Leurs électeurs porteront à leur égard, au moins in petto, un mépris indicible et ne revoteront plus, probablement, pour eux. Ils recueilleront, donc, le déshonneur ( de ne pas avoir défendu une conviction), et la défaite électorale à venir. Les seconds les abstentionnistes politiques. Ils sont au nombre de 16. Ils seront plus difficilement identifiables avec certitude. Quelques-uns se dévoileront. D’autres seront « dénoncés » à la première incartade, vis-à-vis des leurs. Ce sont ces 16 députés qui auront donnés le coup de couteau, le plus violent, à la jeune démocratie tunisienne. Ils voulaient jouer et espéraient gagner sur les deux tableaux, pour ne pas être classés avec les 84 abstentionnistes physiques et apparaitre comme des députés avec des convictions. Ils ont fait pire. Les cameras les ont montrés certes présents. Mais leur conscience d’abord, et leurs connaissances, ensuite, qui finiront par le savoir, feront qu’ils passeront des années à ressasser le déroulement de cette séance plénière de l’ARP de ce 30 juillet 2020, pour essayer d’auto justifier leurs actes. D’autant plus qu’il s’agit du dernier jour de la première cession de la législature et de leur mandat. Certains décrivent des scénarios de bas étage Ces députés auraient cocher la case oui, pour la destitution, pris une photo de ce bulletin avec leur smartphone, puis cocher la case non sur le bulletin, avant de le déposer dans l’urne. Ce qui en fait un bulletin nul.
Ghannouchi remporte une victoire à la …Pyrrhus
Le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, a beau joué les fiers à bras, en écoutant, probablement, à partir de son Bureau présidentiel, les applaudissements des députés de son parti et les youyous des députés femmes supportrices. Il a dû souffler un grand coup en apprenant les résultats du vote de la motion qui cherche à le « dégagé » le mort d’ordre de prédilection des tunisien en 2011 et 2012. Ses opposants ont décroché 97 vois pour son « dégagement » alors qu’il en fallait 109. Le Président de l’Arp, Monsieur Ghannouchi, déclare dans les minutes qui suivent la déclaration des résultats que l’Assemblée vient de lui renouveler sa confiance. « J’ai volontairement accepté de me soumettre à cette épreuve, car j’ai foi en la démocratie. Le dernier mot revient au peuple. Je ne suis pas arrivé ici sur un char, et je n’avais pas peur car partir n’aurait pas été un problème. C’est au final une victoire pour la démocratie ». Cependant, le président Rached Ghannouchi oublie d’expliquer pourquoi il n’a pas présidé la séance pour affronter ses adversaires, les yeux dans les yeux. Ce qui l’aurait grandi aux yeux des tunisiens, toujours séduits par les « Zaims » qui affrontent la tempête. Dans ce vote il ne s’est trouvé que 16 députés pour « renouveler » la confiance au chef d’Ennahda, ce qui fait peu politiquement, face aux 97 députés qui le rejettent. Même si en politique comme au foot ce qui importe c’est le résultat final, et non l’art et la manière de gagner. Le président Rached Ghannouchi n’a pas été destitué par le vote des députés mais les chiffres 97 contre lui pour 16 pour lui marqueront sa « nouvelle » carrière parlementaire et politique. Elle le fragilise à l’Arp. Elle le fragilise au sein de son parti. Elle le fragilise face au Président Kaies Saied. Les scènes de joie et les yoyous des députées femmes du parti Ennahda, ne changent rien à la désormais nouvelle réalité parlementaire. Une joie de façade. Un arbre qui tente de cacher la forêt. La défaite politique est cinglante, la veille de l’Aïd Idha (sacrifice), symbole, s’il en est justement de la valeur sacrificielle, que les croyants de toutes les religions tiennent pour symbolique de leur propre vie. Le rôle des députés du parti Qalb Tounes, qui imputait son emprisonnement, pour soupçons de corruption, à la veille des élections présidentielle et législatives, au parti Ennahda et nominativement à son président, sera disséqué pendant les deux mois de vacances officielles de l’Arp et tout au long de la législature et pendant la prochaine élection législative. Ce paradoxe tunisien s’illustre, encore, par la déclaration du député Hichem Ajbouni du Courant démocrate, dont le parti a siégé avec les ministres représentants du parti Ennahda, jusqu’à la révocation de ces derniers par le chef du gouvernement démissionnaire, Elyés Fakhfakh. Ajbouni exprime son respect envers ses collègues qui ont exprimés leurs convictions dans les urnes. Il écrit : « 97 députés ont œuvré pour, et ont voté pour la motion de retrait de confiance, 18 ont vendu la partie, 16 ont voté contre, et je leur exprime de mon respect et considération ».
Le président Rached Ghannouchia remporte, certes, une victoire politique. Mais dans les prochains jours cette victoire se révèlera être une victoire, à la …..Pyrrhus