Conseil National des imams : la coordination des fédérations musulmanes ouvre le bal, et tire la première.

Si personne n’a jamais écrit ni pensé que la vie du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a été, depuis sa création en 2003, un long fleuve tranquille, les épisodes médiatiques de ses divisions, dissensions, et soubresauts publics, s’accélèrent, de plus en plus.

26 novembre 2021 à 22h55 par Tarek Mami

Conseil National des imams
Conseil National des imams
Crédit : France Maghreb 2
De gauche à droite Anouar Kbibech (RMF) Haïm Korsia (Grand Rabbin de France) Chems Eddine Hafiz (GMP) Ba Amadou (President CNI Coordination) Mohsen Ngazou (MdeF) Assasi Fassassi (FFAIACA)

Elles font la une des médias et des réseaux sociaux, en lieu et place des dénonciations des actes islamophobes, pourtant de plus en plus, nombreux, mais aussi de la banalisation de l’assimilation de l’islamisme à l’islam et de la désignation de cette religion comme « ennemi » de la République. Et en conséquence, la stigmatisation des citoyens de confession musulmane, non pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont. 

L’élément déclencheur de ces divisions a été, paradoxalement, la volonté de l’État, dans la foulée l’assassinat du professeur Samuel Paty, d’imposer « une charte des principes pour l’Islam de France ». Un vieux serpent de mer destiné à couper le lien ombilical avec « les pays d’origine », l’islam consulaire, et les états étrangers, notamment en matière de financement. L’objectif affiché est de passer de l’Islam EN France, à l’Islam DE France.   

La charte des principes est écrite mais pas signée par toutes les organisations membres du CFCM.

Et badaboum !

Divisions, dissensions, et soubresauts publics

Les épisodes se suivent et s’accumulent. Départ du bureau de 4 fédérations qui vont constituer « la coordination », tout en restant membres de l’assemblée générale de l’institution. Cette manouvre d’un pied dedans un pied dehors entraine, quasi-mécaniquement, l’échec de l’assemblée générale du CFCM de juillet 2021. Entre temps, à chaque occasion religieuse ou sanitaire, les musulmans français se retrouvent systématiquement avec deux communiqués, L’un est signé par le CFCM officiel. L’autre est signé par la coordination (informelle). Les musulmans français, doivent se débrouiller avec ces communiqués et sont, de fait, sommés de choisir, « un camp », notamment en termes de fixation du début et de la fin du Ramadan, une pomme de discorde enterrée, bon gré malgré, depuis la création du CFCM. Le point d’orgue est atteint avec « l’affaire de l’invitation à la cérémonie du 11 novembre », et la publication de tweets croisés. Dans la foulée surgit la question de la création du CNI. La coordination des fédérations musulmanes ouvre le bal, et tire la première. Le CFCM ne se laisse pas intimider et annonce l’organisation, le 12 décembre 2021, d’un congrès pour la création du CNI officiel.

CNI, épisode 1

Et d’un CNI ! Le feuilleton de la division entre les 9 fédérations musulmanes, membres du CFCM, (une fédération auto-suspendu, 4 dedans, 4 un pied dedans un pied dehors), s’enrichit d’un nouvel épisode qui fait déjà, aujourd’hui, la délectation des journalistes, de la presse religieuse et politique française, et des réseaux sociaux, et qui fera, demain, le régal des chercheurs, historiens et commentateurs du fait religieux islamique français.

Après sa couverture de l’assemblée générale du CFCM, le 4 juillet 2021,                                (https://www.francemaghreb2.fr/news/islam-reportage-exclusif-france-maghreb-2-assiste-a-l-implosion-du-cfcm-au-cours-d-une-assemblee-generale-d-entente-de-facade-21710 ), France Maghreb 2, assiste à la création CNI (Conseil National des Imams) des citoyens de confession musulmane (pour éviter l’expression « musulmans de France », déjà sanctuarisé »).

Une Création en deux temps.

L’acte 1 est donc annoncé le dimanche 21 novembre 2021, par la création d’un premier CNI par la coordination des fédérations musulmanes, une institution informelle, sans existence légale, ni statuts, ni organigramme connu, nous dit l’un de ses représentants. Elle est   composée de quatre des 9 Fédérations qui composent le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), crée en 2003, qui se sont retirés du bureau de l’institution pour rester membres de son assemblée générale, que sont la GMP (Grande Mosquée de Paris), Musulmans de France (ex-UOIF), RMF (Rassemblement des Musulmans de France), et FFAIACA (fédération française des associations islamiques d’Afrique des Comores et des Antilles).

Cette création a eu lieu en deux temps. Le matin à la Grande Mosquée de Paris avec la tenue d’une assemblée générale constitutive du CNI. L’après-midi par la tenue des assises de ce CNI dans un Hôtel, en face du périphérique parisien, pour rendre compte des travaux de l’assemblée générale du matin et présenter au public le nouveau Président du CNI. Dès l’annonce de cette création, et avant même la création de ce CNI et des assises, Mohamed Moussaoui, président, en titre, du CFCM, annonce la tenue d’un congrès, le12 décembre 2021, pour la création du CNI sous l’égide de l’instance officielle de l’islam de France

Mission accomplie pour la coordination.

Après le passage obligatoire par la vérification du passe-sanitaire pour obtenir le bracelet sésame et accéder à la salle des assisses, on découvre que les premiers arrivés sont déjà assis.  Il est vrai que plusieurs participants sont arrivés de province, par bus, qui les ont déposés au pied de l’hôtel.

Et très vite, la jauge de la salle, réservée à la tenue des assises du CNI, composée de 350 sièges fixes se remplit. Une cinquantaine de sièges mobiles sont ajoutées dans la précipitation pour accueillir les arrivés tardifs.   A ce titre, le CNI de la coordination tient, pour ses organisateurs, toutes ses promesses. Une salle pleine. Des imams venus de plusieurs régions, assister aux assises aux côtés d’imams originaires de la région ile de France. Les présidents des 4 fédérations se relaient au pupitre, sous la houlette du maitre des cérémonies, Okacha Ben Ahmed Daho, de Musulmans de France.   

Présentation du CNI et questions de la salle.

D’entrée, le nom du nouveau président du CNI, élu dans la matinée, est annoncé. Il s’agit de l’Imam Ba Amadou, inconnu de la majorité des Imams présents. Ce dernier s’installe aux côtés des 4 présidents des fédérations qui compose la coordination.

« Journée historique » pour Chems-Eddine Hafiz

« Journée historique » *, assène, debout au pupitre, à plusieurs reprises, au cours de son intervention, Chems-Eddine Hafiz, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, tout comme il l’avait déjà dit le matin sur une télévision d’informations continues. « Historique parce que c’est la première fois qu’un conseil des Imams est créé, depuis l’engagement pris par les organisations musulmanes devant le président de la République Emmanuel Macron. Ce moment scelle notre responsabilité devant les musulmans de France et l’ensemble de nos concitoyens ». *

Unité et disponibilité pour Mohsen Ngazou

Mohsen Ngazou, nouveau président de Musulmans de France (élu pour un mandat de 4 ans, le 13 juin 2021, après deux mandats accomplis par Amar Lasfar) prend le relais, au pupitre, pour insister sur la nécessité de « l’union des musulmans » et « la disponibilité du CNI pour accueillir tous les imams qui veulent rejoindre » le nouveau-né*.

Anouar kbibech et le mécano du CNI

Anouar kbibech, préfère rester assis, à la table présidentielle. Il égrène le détail des décisions adoptées le matin, entre modalités de la composition du conseil d’administration, et celles du Bureau, composé de 6 personnes, mais aussi la catégorisation des Imams, en 3 catégories. « Imam : qui assure les 5 prières quotidiennes ». « Imam prédicateur : qui peut assurer le prêche du vendredi ». « Imam conférencier : qui peut porter assistance aux nouveaux imams et aux imams les moins expérimentés ».  *

Les imams découvrent la liste des 5 autres membres du Bureau, aux côtés du Président, dont une femme élue aux fonctions de secrétaire et de trésorière, deux fonctions traditionnellement séparées dans les associations régie par la loi de 1901. Cependant, le nom des membres du conseil d’administration et le nombre de membres de ladite assemblée constitutive, n’ont pas été dévoilés. Les échanges ne précisent pas non plus si les imams qui seront agrées par le CNI de la Coordination devront au préalable signer, à titre personnel, « la charte des principes pour l’Islam de France », produite par le CFCM et signée par les fédérations membres de cette coordination, ou si une nouvelle « charte » sera produite par elle.

Ba Amadou d’Imam à Président du CNI

Vient le temps de la prise de parole du nouveau président du CNI. Dans un français hésitant il lance « c’est un grand jour pour l’Islam de France d’avoir créé le CNI. Ce CNI sera pour les imams et pour les autorités républicaines, un espace d’échange et de dialogue sur un ensemble de points qui font débat dans la société française. Nous serons à l’écoute des besoins et des préoccupations des musulmans sur différents sujets qui touchent à la pratique de l’exercice du culte ». *

C’est pendant la pause que par bribes, nous apprenons que le président du CNI est franco- mauritanien, ancien imam de la Grande Mosquée de Cergy-Pontoise, et membre de la fédération FFAIACA. C’est donc cette fédération qui emporte la présidence du conseil, alors que les postes de Secrétaire général et de Trésorier reviennent à Musulmans de France, la Grande Mosquée de Paris se contentant du poste de vice-président.    

Le président du conseil des imams de l’Isère : à quoi servent ces assises ?

A ces prises de parole succèdent quelques interventions et questions posées par les imams. Si une intervention se félicite de l’arrivée du temps pour parler des droits des imams alors qu’on parle généralement plutôt de leurs devoirs, la prise de parole du président du conseil des imams de l’Isère, Mohamed Laakri (www.cci-web.fr)    jette un coup de froid lorsqu’il interroge : « à quoi sert ces assisses et de nous avoir invités si vous déjà tout décidé et élu les membres du CNI ce matin à la mosquée de Paris ». Réponse du Recteur de la GMP : « nous avons souhaité profiter de la Baraka de la Grande Mosquée de Paris pour la création du CNI par préférence de sa création dans un hôtel »      

Le Grand Rabbin de France entre les Makroudh de Tlemcen et la prière de la synagogue

Guest-star de ces assises le Grand Rabbin de France Haïm Korsia arrive après la pause qui voit la distribution aux convives boissons chaudes et froides et … dattes et lait caillé (en souvenir du Ramadan (??)

Prenant la parole à la demande du Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Haïm Korsia allie l’humour en faisant une blague sur la qualité des Makroud (pâtisserie à base de dattes) des villes algériennes et un message de félicitations pour la création du CNI avec une phrase qui fera débat (théologique) après son départ : « Je trouve essentiel, que dans la foi musulmane, on explique que le prophète Mohamed a appris AVEC des prêtres nestoriens et avec des rabbins. Le fait qu’il y’ait un rabbin aujourd’hui n’est que la norme, une façon de dire que nous croyons, peut-être, différemment, mais que nous espérons de la même manière… » *

Dans la foulée de son allocution, le Grand Rabbin de France appelle le Recteur de la Grande Mosquée de Paris pour lire en duo, (sur le portable du Rabbin) la Prière pour la République française récitée dans les synagogues (depuis 1808), et de faire reprendre la salle, debout, le refrain Amen ! Amine !

« Éternel, Maître du monde, Ta providence embrasse les cieux et la terre ;
La force et la puissance T’appartiennent ; par Toi seul, tout s'élève et s'affermit.
De Ta demeure sainte, 
*ô Seigneur, bénis et protège la République française* et le peuple français. Amen.
Regarde avec bienveillance depuis Ta demeure sainte, notre pays, la République française et bénis le peuple français. Amen.
Que la France vive heureuse et prospère. Qu'elle soit forte et grande par l'union et la concorde. Amen. *Que les rayons de Ta lumière éclairent ceux qui président aux destinées de l’État* et font régner l’ordre et la justice. Amen.Que la France jouisse d’une paix durable et conserve son rang glorieux au milieu des nations. Amen. 

*Que l’Éternel accorde sa protection et sa bénédiction à nos forces de l’ordre et à nos soldats qui en France et partout dans le monde défendent la France et ses valeurs. * Leur courage, leur ténacité et la force morales qui les animent sont notre honneur. Amen. »

 

Assani Fassassi présente les 9 résolutions du CNI

Avant de clore les assises, il est distribué aux personnes présentes un document intitulé « Communiqué : Résolutions des premières assises des imams de France ».  Ce document est composé d’un préambule, de 9 résolutions et d’une conclusion.

** c’est à Assani Fassassi qu’est revenu le rôle de lire les résolutions que chacun pouvait écouter le texte de ces résolutions en mains.

Cependant, ni les statuts, ni le règlement intérieur, ni la liste des membres du conseil d’administration n’ont été communiqué aux participants et à la presse. Oubli volontaire ou omission ? A voire !

Abdallah Zekri et la stigmatisation des musulmans

A la fin de la réunion Abdallah Zekri président de l’observatoire contre l’islamophobie, membre de la fédération de la Grande Mosquée de Paris, et du …CFCM monte au pupitre. Comme à son habitude il tonne : « Je demande l’union des musulmans au lieu de la division qui s’étale devant nos yeux avec le CNI au moment où nous sommes stigmatisés par l’extrême droite et le parti LR en cette veille de campagne présidentielle. Et comme je le dis souvent que ceux qui n’ont rien à dire ferment leur gueule ».

 

* l’ensemble des prises de parole sont publiées sur le Facebook de la radio France Maghreb 2.

** Texte du communiqué des résolutions

Communiqué :

Résolutions des premières assises des imams de France

Réunis en Assises ce dimanche 21 novembre 2021 à Paris, et après lecture des documents fondateurs du Conseil National des Imams (CNI) et débats, nous, les imams, mourchidates, aumôniers et aumônières, adoptons ensemble les résolutions suivantes :

1. Nous saluons la mise en place du Conseil national des imams, instance impulsée par le Président de la République, Monsieur Emmanuel Macron, et émanation d’un travail laborieux des fédérations musulmanes. Nous appelons tous les ministres du culte et mourchidates à rejoindre le CNI et ses instances afin d’installer une représentation nationale des imams et cadres religieux musulmans.

2. Au-delà de cette représentation plurielle des imams et cadres religieux, hommes et femmes, nous appelons à construire ensemble une instance capable de réfléchir sur le statut de l’imam ou de la mourchida et de sa protection, sur les niveaux de qualification et d’engagement attendus pour faire vivre cette vocation spirituelle au service des autres et sur les accompagnements possibles tout au long de cette voie.

3. La Charte des principes pour l’islam de France représente un texte fondateur qui jette les bases d’une compréhension de l’islam authentique, ouvert et adapté à la société française. Nous nous engageons à promouvoir ses valeurs de paix, de solidarité et d’ouverture.

4. Nous réitérons le fait que l’islam est totalement compatible avec les valeurs de la République. Nous vivons en République comme tout citoyen respectueux de la loi. Nous distinguons le domaine politique et civil de celui de la religion qui relève du culte.

5. Nous réaffirmons avec force l’égalité entre les hommes et les femmes et saluons le fait que le CNI ait d’emblée ouvert ses instances aux femmes comme aux hommes sans distinction.

6. Nous nous érigeons contre le détournement de la religion musulmane à des fins racistes, xénophobes ou antisémites. Nous rejetons avec vigueur toute forme de haine, d’exclusion et de violence.

7. Nous rappelons notre engagement en faveur du dialogue interreligieux et plus largement aux échanges avec les autres croyances ou philosophies. Elles constituent une richesse pour tous et nous croyons que la fraternité englobe les êtres humains au-delà leurs appartenances religieuses, philosophiques ou ethniques.

8. Face à la radicalisation violente qui a meurtri notre pays et qui continue de représenter un danger pour la cohésion de notre société, nous nous engageons à redoubler d’efforts en faveur de la prévention de la radicalisation et souhaitons mobiliser nos forces pour qu’un discours de déconstruction commun soit partagé par le plus grand nombre.

9. Nous nous inquiétons également des propos stigmatisant les Français de confession musulmane alors que l’écrasante majorité d’entre eux vit paisiblement avec ses concitoyens. Les discours de mépris et de haine à l’égard de toute composante de la nation sont en soi une préoccupation pour l’avenir de notre pays.

Enfin, nous tenons à saluer la naissance du CNI qui sera pour tous les imams et cadres religieux qui accompagnent quotidiennement la spiritualité de milliers de fidèles, une instance de normalisation des pratiques, de coopération et de formation.

C’est le début d’un travail que nous souhaitons collégial, pluriel et normatif afin de participer à la bonne installation du culte musulman au sein de la République.